« BÂTIR UN SYSTÈME SPÉCIALISÉ ET DURABLE FACE À LA CRISE »
MALGRÉ DES DIFFICULTÉS CONJONCTURELLES LIÉES AUX INVESTISSEMENTS, LA SCEA MONT DE GOURNAY ASSUME LE CHOIX DE L'AGRANDISSEMENT. SA STRATÉGIE : AMÉLIORER LA PRODUCTIVITÉ LAITIÈRE, SANS PERDRE DE VUE UNE TRÈS BONNE MAÎTRISE DES CHARGES.
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DEPUIS DEUX ANS, JEAN-LUC MAEYAERT A INVESTI PAS MOINS DE 600 000 € pour être en mesure de produire un million de litres supplémentaires. Reste à finaliser la transformation d'une aire paillée en logettes et il disposera de 220 places destinées aux vaches laitières.
Installé en 1999, Jean-Luc (43 ans) a saisi les opportunités de développer sa production. Cette année-là, il reprend une ferme de 20 ha et 100 000 litres à Verchocq, voisine immédiate de celle de ses beaux-parents Jean-Marie et Thérèse Dumetz. Pendant cinq ans, il restera double actif (contrôleur laitier), avant de s'associer avec eux en 2004. Ensemble, ils créent un Gaec, sur une structure de 550 000 litres et 127 ha de SAU. Puis, en 2007, le Gaec bascule dans la catégorie des grands troupeaux : la ferme des parents et de Daniel, l'oncle de Jean-Luc, située à Maisnil-Dohem (12 km), est reprise par son épouse Florence qui intègre la société avec 110 ha et 500 000 litres en plus. Elle conserve un emploi à mi-temps à l'extérieur et s'occupe de la gestion administrative de la ferme. L'exploitation dispose alors d'un quota de 1,1 Ml chez Sodiaal. Les 120 laitières sont regroupées à Verchocq, où elles sont logées dans une stabulation à logettes de 100 places et sur une aire paillée de 700 m2. Le site de Maisnil-Dohem est, lui, consacré à l'élevage des génisses, de 6 mois jusqu'au vêlage. Il est géré par Daniel Maeyaert. Désormais salarié, l'oncle de Jean-Luc était associé sur la ferme familiale avec son père Christian, qui est toujours là pour donner un bon coup de main. « Cette stratégie nous a permis de travailler tous ensemble sur la ferme, indique Jean-Luc. Ma grande chance est que les "anciens" aient su transmettre en me laissant les mains libres pour la prise de décision. »
« SODIAAL NOUS A ATTRIBUÉ 750 000 LITRES »
C'est également en 2007 qu'il fait une demande d'autorisation d'exploiter pour 220 vaches. Elle sera approuvée après enquête publique en raison de la proximité avec les habitations. « L'idée était de mettre tout en oeuvre pour être en mesure de produire un maximum de lait avant la fin des quotas. » C'est finalement en 2014 qu'il obtient 750 000 litres de rallonge auprès de sa coopérative, sous réserve de s'acquitter des parts sociales (380 €/1 000 l). Ce litrage qui prévoit 30 % de volume B, Jean-Luc choisit de le réaliser sur quatre ans : 200 000 litres/an et 150 000 l la dernière année, soit 1,8 Ml à échéance 2018. L'augmentation par paliers doit permettre d'assurer la croissance de cheptel sans achats extérieurs « pour ne pas remettre en cause l'équilibre du troupeau », tout en réalisant les travaux d'agrandissement en autoconstruction.
Les travaux commencent donc dès 2014 par la construction de silos couloirs et d'une fosse circulaire d'une capacité de sept mois de stockage pour 220 vaches (2 850 m3). L'étape suivante consiste à transformer l'aire paillée en 100 places de logettes et de remplacer la TPA 2 x 9 par une 2 x 20 postes, avec une préfosse de 700 m3 sous l'aire d'attente, soit un coût de 6 000 €/place.
« IL FAUT SE FORMER AU MANAGEMENT DES SALARIÉS »
La nouvelle salle de traite est en service depuis novembre dernier et les logettes sont en cours de finition. Pour mener de front ces travaux et la montée en puissance de la production, la main-d'oeuvre a dû évoluer car entre-temps, les associés du Gaec ont changé de statut : Jean-Marie Dumetz est parti à la retraite et son épouse Thérèse est devenue salariée à tiers temps après avoir cédé ses parts. Pour les remplacer Jean-Luc mise sur le salariat : Émeric Pichonnier est recruté à plein temps à l'issue de son contrat d'apprentissage en mécanique agricole. Il a en charge l'entretien du matériel et des bâtiments, et la conduite des cultures. Plus récemment, Florine Croquelois a rejoint l'exploitation. Titulaire d'un CS lait, elle se consacre à la traite et aux soins du troupeau. « Dans ce système, la gestion de la main-d'oeuvre est essentielle. L'enjeu est de conserver les compétences des salariés sur l'exploitation. Aussi, je m'astreins à suivre une fois par an une formation au management avec l'association Terr'Avenir. » Parallèlement, le Gaec est devenu SCEA. Jean-Luc a aussi créé une SARL pour gérer 1 000 m2 de panneaux photovoltaïques (150 kW) installés en 2009 et une ETA qui réalise 95 % de ses prestations pour la SCEA (semis, ensilage, moissons et épandage). L'exploitation dispose désormais d'un droit à produire de 1,8 Ml et d'un potentiel supérieur à 2 Ml. Or, à l'issue de la campagne, elle n'a produit « que » 1,356 Ml, conformément au choix d'une augmentation par paliers. Impossible donc de diluer les charges de structure en saturant l'outil. En outre, ce projet a été mené dans un contexte de crise, avec une forte proportion de volume B. Conséquence : un recul du chiffre d'affaires lait de 29 812 € au cours de la campagne écoulée, malgré une hausse des livraisons de 171 000 litres.
« L'OUTIL NE TOURNE PAS À PLEIN RÉGIME »
Le croît de troupeau interne coûte cher également : il se traduit par un recul du chiffre d'affaires viande de 14 638 € et par une hausse des charges de reproduction liée à l'achat de semences sexées. « L'outil de production est là, mais il ne tourne pas à plein régime. De plus, la mobilisation de la main-d'oeuvre pour réaliser les travaux a pénalisé la productivité du travail, souligne Jean-Luc. J'étais préparé à des difficultés en phase de transition, mais pas à une baisse de prix du lait de cette ampleur. Sans les travaux, nous aurions pu passer la crise en reportant une embauche et des investissements. J'assume cependant ma décision, car je dispose aujourd'hui d'un fort potentiel EBE avec cet outil. » En attendant, il fait appel à des courts termes roulants pour passer la crise. « Heureusement, le photovoltaïque nous apporte un peu de trésorerie . »
« NOUS MAÎTRISONS BIEN LE COÛT ALIMENTAIRE ET LA SFP »
Si l'EBE de la SCEA ne couvre pas les annuités de l'exercice, le résultat consolidé incluant l'ETA et la SARL génère heureusement un solde positif de 22 000 €. C'est sans doute cette diversification des sources de revenus et un haut niveau de performances techniques qui justifient l'accompagnement financier de la banque dans un contexte de crise, malgré un endettement de la SCEA de 64 % (hors courts termes). L'exploitation a en effet une très bonne maîtrise des charges opérationnelles (voir tableau), « grâce d'une part, à un système fourrager sécurisé avec un coût de SFP économe permis par le semis direct et, d'autre part, à l'utilisation de matières premières simples pour la complémentation du troupeau », souligne Jean-Michel Cadet, conseiller du Geda du Haut-Pays. En effet, sur des terres où les rendements maïs oscillent entre 7 et 12 t de MS/ha, l'éleveur a mené un gros travail sur la qualité des fourrages. « Ces efforts portent sur la conduite des cultures fourragères, mais aussi sur la valorisation de l'herbe à travers le renouvellement des prairies, l'implantation de légumineuses, l'aménagement de chemins d'accès ou encore l'organisation du pâturage tournant. » L'accent mis sur la précocité des récoltes d'herbe et de méteil participe aussi à produire un maximum de lait à partir des fourrages, même si le méteil entraîne à densifier la ration en concentrés. Sur la ferme, leur consommation est élevée (2169 kg/VL), mais le recours au maïs grain humide autoproduit et au tourteau de colza permet de conserver une bonne maîtrise du coût alimentaire des vaches laitières : 81 €/1 000 l, contre une moyenne du groupe de 92 € (de 72 à 109 €). « Les performances techniques sont réelles, mais l'exploitation a besoin de retrouver un régime de croisière », analyse le conseiller.
« UNE CONDUITE EN DEUX LOTS POUR BAISSER LE COÛT DE LA RATION »
La ration complète comprend 25 kg bruts de maïs, 13 kg de pulpe surpressée, 12 kg d'ensilage méteil-luzerne, 5,3 kg de tourteaux de colza, 2 kg de maïs grain humide, 1,5 kg de blé aplati, 120 g de CMV (1,5/30), 80 g d'urée et 50 g de sel. Pour le maïs, l'éleveur privilégie des variétés très précoces typées grains (indice 180 à 200), en vue de récolter des ensilages proches de 1 UF. En 2015, sa valeur est de 0,99 UF, 41 g PDIN et 67 g PDIE. « Lors des quatre dernières années,le minimum a été de 0,96 UF », précise Jean-Luc. Il estime que l'entretien de la fertilité du sol par les techniques de conservation participe non seulement aux rendements mais aussi à la qualité du fourrage. « Je réfléchis désormais à remonter la barre de coupe de l'ensileuse (> 55 cm) pour optimiser la valeur énergétique de l'ensilage de maïs. L'idée est de broyer 1 à 1,5 t de MS/ha de cannes pour nourrir mon deuxième troupeau - les vers de terre - puis de semer un blé dans ce couvert. » Le méteil est ensilé tôt au printemps. Le silo est ensuite débâché à trois reprises pour y superposer deux coupes de luzerne, puis de la pulpe de betterave. En fonction de son intérêt économique, de la pomme de terre peut être intégrée à ce silo sandwich, en remplacement du maïs grain humide. Pour la correction azotée, l'éleveur travaille cette année en 100 % colza, pour lequel il est couvert jusqu'en avril 2017 au prix de 217 €/t. Tout le troupeau a la même ration, pour une production moyenne de 9 740 litres à 39,9 de TB, 32,5 de TP. Il est conduit en deux lots : d'une part, les primipares et les jeunes et, d'autre part, les adultes. « Depuis le 15 mai, nous avons aussi mis en place une conduite en deux lots pour la période estivale, afin de valoriser 25 ha d'herbe accessibles et ainsi baisser encore le coût alimentaire : les vaches gestantes et à bas niveau de production sont nourries exclusivement à l'herbe, celles à inséminer et à haut niveau de production restent en stabulation.
« LE LOT TOUT À L'HERBE PRODUIT 18 LITRES AVEC ZÉRO CONCENTRÉ »
« Au dernier contrôle, le lot tout à l'herbe affichait une moyenne de 18 litres de lait, avec zéro concentré », ajoute Jean-Luc. Cette année, les travaux dans les bâtiments ont retardé la mise à l'herbe. Au printemps prochain, si le temps le permet, les vaches sortiront plus tôt pour effectuer un vrai déprimage suivi d'une conduite en pâturage tournant sur des paddocks de deux à trois jours.
Sur le plan technique, la conduite des taries reste un point faible. C'est pourquoi, une préparation spécifique pour ces animaux a été mise en place trois semaines avant la mise bas.
« RÉDUIRE L'IVV POUR GAGNER EN PRODUCTIVITÉ »
Elle vise à réduire la mortalité des veaux (11 %) et à optimiser le pic de lactation tout en limitant le risque de maladies métaboliques, afin de réduire un intervalle vêlage-vêlage de 407 jours. « L'objectif est d'inséminer dès 50 jours quel que soit le niveau de production. Je vise un mois moyen de lactation de 180 jours, avec des vaches en moyenne à 30 litres capables de bien valoriser la ration complète. » Confiant en l'avenir malgré une phase de transition difficile, Jean-Luc se projette au-delà : « Dans dix ans, je me fixe l'objectif de produire 2,4 Ml, avec 210 vaches à 31 l/jour, 15 000 l/ha, un IVV de 380 jours et 4 UTH. Mais d'abord, il s'agit de lever le pied sur les investissements pour reconstituer la trésorerie. Cela ne sera possible qu'avec une hausse du prix du lait. »
JÉRÔME PEZON
L'exploitation est située au coeur du village. Grâce à l'aménagement de chemins d'accès derrière la stabulation, elle dispose de 25 ha d'herbe accessibles qui ont permis de maintenir le pâturage des vaches laitières. © CÉDRIC FAIMALI/GFA
Une TPA de 2 x 20 postes : canalisations et branchements sont installés sous la salle de traite. Grâce à ce dispositif hors gel, la traite se fait sans bruit : un vrai confort pour le trayeur. Coût total : 160 000 €. © CÉDRIC FAIMALI/GFA
L'aire paillée de 700 m2 a été convertie en stabulation à logettes de 100 places. En cours de finition, les travaux ont été pour l'essentiel réalisés en autoconstruction. © CÉDRIC FAIMALI/GFA
Pâturage. Pendant la période estivale, le troupeau est conduit en deux lots : les vaches gestantes et à faible niveau de production sont en pâture, tandis que les vaches à inséminer et à haut niveau de production restent dans le bâtiment. © CÉDRIC FAIMALI/GFA
Les veaux sont élevés en case individuelle avec deux repas quotidiens jusqu'à 15 jours, puis en case collective avec un repas. Jusqu'à 6 mois, ils ont le même concentré fermier mixé par un camion usine (25 % de blé, 25 % de pulpe sèche, 25 % de colza et 25 % de féveroles). © CÉDRIC FAIMALI/GFA
Pour le confort et la propreté, les aires d'exercice sont équipées de tapis raclés environ douze fois par jour selon l'humidité ambiante. Les logettes avec matelas sont nettoyées manuellement deux fois par jour et saupoudrées de sciure. © CÉDRIC FAIMALI/GFA
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